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CIN-CO est une association créée en 2004 qui a pour objectif de favoriser la création, la production et la diffusion de films venant en particulier des pays en voie de développement.

L'idée est de permettre à des réalisateurs étrangers ayant peu de moyens à leur disposition de faire aboutir leur travail artistique, de leur apporter un soutien logistique et matériel, et de proposer un appui à la diffusion de leurs œuvres.

C'est ainsi donner la possibilité de montrer une réalité ou une vision artistique souvent déniée ou délaissée dans leur pays, et très souvent méconnue à l'extérieur de ce territoire.

Notre action s'articule également autour de projets pédagogiques et éducatifs, en milieu scolaire, pour sensibiliser les jeunes publics à l'impact de l'image, à son interprétation, à sa maîtrise et à sa diversité.

 

 

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20 juin 2015 6 20 /06 /juin /2015 16:22
Matière à exercices

Projet de long métrage documentaire de Nicolás Román Borré

 

S’appuyant sur l’histoire, les symboles et nos représentations de l’âne, le film essaye de découvrir ce pourquoi ces animaux sont autant méprisés.
Cette investigation débute Carthagène des Indes, en Colombie, où les ânes sont utilisés par de jeunes délinquants comme objet d'exercices afin de s'entraîner à manier le couteau.

 

Note d'intention

Cet âne abject, souillé,
meurtri sous le bâton,
est plus saint que Socrate
et plus grand que Platon


Victor HUGO

 

C'est à l'âge de sept ans que j'ai vu pour la première fois un âne battu par son maître, avec un manche à balai ayant plusieurs clous à son extrémité. Je me souviens encore très bien de cette scène et de cette pauvre bête qui essayait en vain de se relever.

Six ans plus tard, les ânes sont de nouveau apparus dans ma vie mais d'une manière totalement différente. En effet à cette époque, ces animaux, et surtout les ânesses, étaient au centre de passionnantes discussions entre les adolescents de mon collège avec pour thème leurs expériences sexuelles du week-end avec ces femelles.

Bien que je ne partageais pas ces conduites, elles me laissaient à vrai dire plutôt indifférent, de part mon jeune âge et mon immaturité. Un peu plus tard, une autre image s'ajouta aux précédentes mais celle-ci changea radicalement mon regard sur les ânes. Ce triste souvenir est celui d'un ânon poignardé par de jeunes délinquants qui faisaient de son corps un objet d'exercice pour s'entraîner à manier le couteau.

L'ânon m'implora durant des heures de ses yeux larmoyants brayant de douleur tout en me montrant ses blessures avec son museau. Les sentiments d'alors restent encore difficiles à évoquer, car liés à des émotions marquantes et impossibles à transcrire par écrit. En tout cas, cette rencontre fut à l'origine du long métrage.

Sans perdre de temps, je me suis plongé dans une recherche que je n'avais pas envisagée au départ et qui dura plus de dix ans. Dès le début de l'enquête visant à construire le scénario, je me suis aperçu qu'il n'avait jamais été fait d'investigation sur ce sujet et que personne ni aucune institution ne s'y intéressait.

J'ai commencé ainsi à compiler les mobiles des actions criminelles dont étaient victimes les ânes, tout comme les motifs permettant à une société de nier ses principes éthiques quand il s'agit d'animaux. Malheureusement ni l'investigation ni l'accès aux jeunes délinquants ne furent faciles à cause des mafias des bidonvilles qui interdisaient de parler de ce thème.

Pour résumer, les causes étaient inconnues, le sujet n'intéressait personne et ma vie fut mise en danger à plusieurs reprises lors de mes contacts avec les délinquants qui se sentaient menacés par mes interrogations. Ce fut alors une période d'énormes investissements personnels et économiques pour découvrir l'univers sociologique les caractérisant.

Si l'approche théorique fut maîtrisée, il n'en fut pas de même pour le tournage car sur le terrain, je n'arrivais plus à filmer ou à photographier ces ânes en gardant une position distante et académique. Ainsi, il m'apparaissait anti-éthique de mettre en route une caméra et ensuite de s'en aller sans rien faire pour changer la réalité.

J'ai donc commencé à participer en tant qu'avocat à toutes les campagnes des sociétés protectrices des animaux en Colombie, et entamé plusieurs poursuites judiciaires pour améliorer leurs conditions de vie dans leurs relations avec les hommes. C'est dans ce contexte que j'ai écrit la première version du documentaire avec l'idée d'en faire une œuvre engagée montrant, à partir du point de vue d'un ânon toutes les atrocités supportées, ceci dans l'unique objectif de changer un peu la réalité.

En effet, je pensais naïvement qu'une œuvre cinématographique pouvait agir pour ces ânes qui mouraient misérablement face à l'indifférence des hommes et à ma propre impuissance. C'est seulement deux ans plus tard que je me suis rendu compte que je m'étais gravement trompé et que mes émotions avaient prévalues sur le discernement. J'ai alors constaté toute la véracité des paroles du cinéaste italien Ettore SCOLA: "Tout en étant conscient qu'un film ne peut changer ni le monde, ni les hommes, ni les idées, on veut croire qu'il peut aider, même modestement, à une réflexion collective".

Suite à cette désillusion, j'ai réécris le scénario en cherchant une nouvelle approche des faits, cette fois-ci plus ciblée sur l'origine des agressions et leur contexte historique et psychologique.

L'enquête rigoureuse qui suivit m'amena à la déduction que le sort actuel des ânes était le résultat d'une représentation millénaire complètement contradictoire, aucune bête ne portant aussi clairement les variations du regard de l'homme. Ainsi, la vision de l'âne va de l'admiration pour sa patience, sa douceur, sa modestie et sa capacité de travail, à la dépréciation et le ridicule pour sa bêtise, son entêtement et sa méchanceté.

Par exemple, dans la religion chrétienne, il est cité dans la Bible plus de cent fois d'une manière tout à fait positive: il était présent au moment de la naissance de Jésus et surtout à son entrée triomphale dans Jérusalem. La littérature, pour sa part, utilise l'âne comme un outil précieux pour transmettre des valeurs morales et philosophiques, depuis APULÉE au début de notre ère jusqu'au monumental poème castillan "Platero y yo" de Juan Ramón JIMÉNEZ, en passant par Victor HUGO qui fait s'affronter dans une discussion l'animal le plus bête qui soit à KANT, sans oublier les fables de la FONTAINE.

Mais, parallèlement s'est développé un concept négatif, comme en témoignent l'âne, symbole de Seth (Dieu de la mort et du mal) en Egypte, les bonnets d'âne donnés aux mauvais élèves et le dicton "méchant comme un âne rouge".

Sans doute l'âne fut-il toujours exclu des mérites de son apport au progrès humain, et encore aujourd'hui être à son côté est souvent considéré comme indigne et preuve de pauvreté.

Toutes ces valeurs péjoratives caractérisant l'âne furent complètement assimilées par la culture colombienne, au point de ne conférer aucune importance à la vie de ces animaux. Quand je suis arrivé à cette conclusion, les conditions nécessaires à la réalisation du long métrage me semblaient être remplies.

Et pourtant, celui-ci devait encore s'étoffer, notamment sa structure narrative. Le projet avait encore besoin de temps, tout comme moi, à qui il manquait aussi de la distance… beaucoup de distance.

C'est donc le destin qui ici, a joué son rôle magique puisque pour des raisons personnelles, j'ai été amené à quitter la Colombie et à venir vivre en France. Finalement mon arrivée sur le territoire français m'a permis de comprendre mon manque de recul par rapport au film, puisque j'étais jusqu'alors complètement absorbé par le sujet et envahi par ces souvenirs d'ânes injustement tués.

Sur le sol européen, et bien sûr grâce à la distance et aux années vécues ici, j'ai acquis la maturité idéologique manquant à "Carne de práctica", précisément parce que l'éloignement d'avec mon pays m'a permis d'affiner mon analyse et d'envisager plus clairement le projet.

Au final, ce cheminement de plusieurs années a déterminé l'intention du film: partir de la violence ponctuelle que subissent les ânes dans un lieu donné, pour montrer la complexité universelle des relations entre les hommes et les animaux, et notre manière de relativiser ou dénaturer leur image au bénéfice de nos sociétés.

De ce fait, le documentaire ne se présente pas seulement comme une description animalière à travers la vie d'un ânon, mais également comme une approche de la nature humaine et de ses conduites anthropocentriques.

 

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