Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Qui sommes-nous ?

 

 

 

CIN-CO est une association créée en 2004 qui a pour objectif de favoriser la création, la production et la diffusion de films venant en particulier des pays en voie de développement.

L'idée est de permettre à des réalisateurs étrangers ayant peu de moyens à leur disposition de faire aboutir leur travail artistique, de leur apporter un soutien logistique et matériel, et de proposer un appui à la diffusion de leurs œuvres.

C'est ainsi donner la possibilité de montrer une réalité ou une vision artistique souvent déniée ou délaissée dans leur pays, et très souvent méconnue à l'extérieur de ce territoire.

Notre action s'articule également autour de projets pédagogiques et éducatifs, en milieu scolaire, pour sensibiliser les jeunes publics à l'impact de l'image, à son interprétation, à sa maîtrise et à sa diversité.

 

 

Recherche

18 août 2015 2 18 /08 /août /2015 15:08
Précisions à propos du cinéma commercial

Ne jamais laisser notre savoir

prendre le dessus

sur ce qui demeure plus important,

notre ignorance.

 

Henry David Thoreau

 

 

Par Nicolás Román Borré

 

Cela fait un bon moment que me poursuit l'idée d'écrire quelque chose d'intéressant sur le cinéma commercial, mais la crainte de commettre une hérésie cinématographique, d’aller à contre-sens de la critique, ou de perdre mes amitiés des ciné-clubs ont freiné l'envie de finaliser un article qui réclame en silence sa publication.

 

J'ai décidé, aujourd'hui, de commettre ce sacrilège académique et de libérer les mots prisonniers de mon inconscient. Il s'agit de ce que je pourrais appeler un suicide intellectuel. Il est pourtant nécessaire, en dépit des conséquences que pourrait entraîner cet acte impropre, de confronter les notions discordantes de «cinéma d'art» et de « cinéma commercial ».

 

Pour illustrer la difficulté de circonscrire de façon cohérente ce que nous appellerions le cinéma commercial, commençons par le cas de John Lasseter qui est, aux dires de beaucoup de gens, un cinéaste soumis aux lois du marché. Face à lui, les ombres chinoises de Michel Ocelot sont l'antithèse de la grande industrie; mais Ocelot est plaisant comparé au ténébreux Tim Burton (1); lequel Burton est un trader si nous examinons sa filmographie à celle du Japonais Hayao Miyazaki; cependant, l'humanisme de Miyazaki s’adresse au grand public comparé aux valeurs du cinéma personnel d’Adam Elliot; et à son tour Elliot, bien qu'ayant du mérite, est complaisant si on le confronte à Bill Plympton; néanmoins, les années passant, Plympton a perdu de son mordant d'homme de contre-culture, si on le rapproche de quelqu’un comme Jan Švankmajer. Je continue la liste ? Le lecteur désire-t-il placer une frontière entre ces réalisateurs, en séparant ceux qui sont mercantiles de ceux qui ne le sont pas ?

 

Soyons honnêtes, le problème spéculatif est complexe si nous l'étudions calmement et avec sens critique. Pour démontrer ce qui vient d'être dit, je vais vous raconter ce qui s’est passé lors d’une présentation que je faisais à propos de cinéastes états-uniens. Au milieu de la discussion, une jeune femme prit la parole pour commenter Minuit à Paris affirmant que c'était un excellent film, et à son avis, un bon exemple de cinéma non commercial.

 

Je partageai son point de vue concernant le caractère irréprochable du film, tout en ajoutant, que le film n'était pas une œuvre de cinéma dit « d'art » -ce qui eut le don d'irriter une partie de l'assistance-, sur quoi la Mademoiselle (*) se leva et me demanda d'un air de défi : « Qu'est-ce qui vous fait supposer que Minuit à Paris est une œuvre commerciale ? »… A l’unisson, le public me regardait et je vis même parmi les visages présents quelques regards assassins visant celui qui osait remettre en question le maestro de la Grosse Pomme. Ne voulant pas quitter l'endroit sur un brancard, je décidai de calmer les esprits en confessant mon admiration pour ce new-yorkais si spécial, leur avouant que j'avais vu des centaines de fois Radio Days, Manhattan et Annie Hall; qu'à dix ans je lisais chaque dimanche « Angoisse & Légèreté »; sans comprendre la moitié des blagues ironiques ou psychanalytiques dont il parsemait la bande dessinée; bref que je pensais que Woody Allen était l'un des grands génies du septième art.

 

L'hostilité diminua et la tension revint à la normale. Je profitai alors du calme momentané du lieu pour commenter les paroles d'Allen au moment où le film faisait l’ouverture du Festival de Cannes : « C'est un film pour lequel on m'a payé et en plus j'ai eu la chance de séjourner à Paris... La raison principale pour laquelle j’ai filmé dans la capitale française, c'est que les producteurs européens me donnent l'argent nécessaire à mes projets si je continue à filmer sur le vieux continent (2).... En ce moment, mes scénarios sont mieux accueillis en Europe qu'aux États-Unis, les boîtes de production d'ici me donnent de l'argent et me laissent tranquille, au contraire de ce qui se passe dans mon pays... Je n'ai pas voulu montrer le Paris réaliste de la vie quotidienne, j'ai voulu recréer la ville, telle comme je l’idéalise dans mon imagination... »

 

« Conclusion -dis-je-, Woody Allen a travaillé en France pour des raisons économiques. Minuit à Paris est une comédie romantique, ce qui garantit un large public. Les acteurs sont des stars reconnues. Il a tourné dans la ville la plus touristique de la planète. Le film a été le plus grand succès financier international dans la filmographie du new-yorkais. Le schéma du réalisateur dans le développement du scénario fut de réaliser une fantaisie douce, s'éloignant de la dramaturgie réaliste du cinéma-vérité tant défendue par les français. La distribution a été assurée par un géant de l'industrie: Sony Pictures; Vous vous rappelez la bande-annonce ? -leur demandai-je-… : Le matin, Paris est éclatant, l'après-midi, Paris est charmant, le soir, Paris est envoûtant, mais après minuit, Paris est magique. Même l'office du tourisme de la capitale n'aurait pas pu réaliser une pub aussi splendide -assénai-je en terminant- ».

 

L'auditoire semblait un tombeau, l'arrogance de la Mademoiselle avait disparu et les assistants déconcertés attendaient que reprenne la discussion. Mais je décidai qu'une pause était nécessaire pour assimiler les idées réactionnaires que je venais d'exposer.

 

Quelques instants plus tard, un monsieur d'âge avancé, -balançant entre frustration et rage-, lança qu'il était inadmissible de qualifier Woody Allen d'auteur commercial. Je lui demandai alors s'il pouvait définir clairement ce que signifie le mot « commercialiser », ce à quoi l'ancien affirma: « Ce sont les œuvres qui recherchent une rentabilité par le nombre d’entrées ». Une dame lui rétorqua que toutes les productions aspirent, d’une certaine façon, à un profit, -et ma présentation en resta là-, puis les gens exaltés se mirent à citer des cinéastes prestigieux, mais d'autres dirent qu'ils étaient commerciaux, puis à leur tour, ces derniers indiquaient certains réalisateurs dont les premiers contestaient l'honnêteté financière... Et ainsi, la polémique continua pendant des heures, sans que nous puissions parvenir à un accord.

 

Le problème de tout ce questionnement réside dans le fait que la définition de cinéma d'art, que les critiques et les cinéphiles ont imposée, se trouve en complète opposition avec l'idée de lucre. Mais ce puritanisme artistique est un artifice qui n’a jamais existé. Depuis le début du septième art, aucun genre cinématographique n’a vraiment refusé la possibilité d’une rentabilité. De plus, la réalité économique actuelle démontre encore ce modèle de retour sur investissement.

 

Si un être humain veut créer quelque chose de très personnel, sans être perverti par l'argent, ce qu'il doit faire est un poème ou un dessin, parce que les simples outils dont il aura besoin seront un crayon ou un pinceau. En revanche, s'il veut pénétrer dans l'univers audiovisuel, il doit savoir que les équipements coûtent très cher et que la création cinématographique est le résultat d'une étroite collaboration entre techniciens, comédiens, personnes interviewées, animateurs, chefs opérateurs, scénaristes, musiciens, artistes, chercheurs, figurants, producteurs, assistants et personnels administratifs. Il faut être humble dans ce métier, vu que le résultat final n'appartient pas exclusivement au réalisateur (3), mais qu'il est bien le fruit d'un travail collectif (4).

 

Dès ses débuts, le cinéma a eu un lien avec l'économie. Déjà, le Kinétoscope d'Edison ne fonctionnait qu'après qu'on ait mis une pièce dans une fente et pour voir les vues animées du Cinématographe des frères Lumière et du Bioscope de Skladanowsky, il fallait payer une entrée. Plus tard, ce fut de même à l'apogée du cinéma muet de George Méliès, Edwin Stanton Porter, Max Linder, Mack Sennett, David Ward Griffith, Charles Chaplin, F. W. Murnau, Buster Keaton et Raoul Walsh, dont les films ont généré des fortunes monumentales.

 

Il me semble que l'important n'est pas de savoir si un film est ou non commercial, -ce qui est difficile à établir dans certains cas-, mais de déterminer la qualité ou la beauté d'une œuvre. Affirmer d'entrée de jeu que le cinéma commercial est mauvais, et qu’au contraire, le cinéma dit « d'art » est bon nous conduit à un syllogisme erroné, car les propositions logiques sont imprécises et les conclusions déductives incomplètes. Prenons pour exemple Chaplin, qui représente pour les intellectuels, les cinéphiles et les spectateurs en général, le modèle absolu. Eh bien, Charles Chaplin avait l'obsession de l'argent (5) et devint, comme chacun sait, un homme très riche. Il acheta aux producteurs tous les films où il figurait, afin d'en avoir le contrôle de la diffusion et des droits dérivés (photographies, accessoires etc.), et ces privilèges génèrent encore aujourd'hui de la richesse.

 

Le Kid, La ruée vers l'or, Les temps modernes, toutes ces productions de Chaplin furent commerciales, mais elles avaient une âme, il y avait de la magie, de la tendresse, de l'émotion, ce qui demeure pour moi l'essentiel. Mais Charlot n'est pas l'exception. Metropolis, Autant en emporte le vent, Certains l'aiment chaud, Le grand bleu, La vie est belle, étaient aussi des films destinés au plus grand nombre de spectateurs. Et maintenant, où les programme-­t-­on ? Dans les cinémathèques, les ciné-clubs, et dans les salles de cinéma d'Art et Essai. Je sais que beaucoup vont crier au blasphème, j'entends d'ici les insultes, je comprends que beaucoup d'amis ne m'adresseront plus la parole, mais je n'en ai pas terminé, je vous demande un peu de patience afin de compléter mon analyse.

 

Où les cinémathèques et les ciné-clubs se procurent­-ils la majorité des films qu'ils présentent ? La réponse est simple : auprès d'un distributeur de cinéma. Et c'est quoi, un distributeur de cinéma ? C'est une entreprise privée, régie par le code du commerce, qui cherche à générer le meilleur profit par l'exploitation de pellicules cinématographiques. Précisons qu'il n'y a aucune différence juridique entre un distributeur de cinéma commercial et un distributeur de cinéma « d'art ». Que ce soit l'UNICEF, un ciné-club universitaire, une filmothèque ou une association de mères de famille qui veuillent projeter un film, la copie dont ils feront usage ne sortira pas des entrepôts du distributeur sans payer une somme importante. Le pire, c'est que, dans de nombreux pays, de merveilleuses bobines renfermant des œuvres révolutionnaires s’élevant contre le joug capitaliste sont gérées par les majors des grands studios. Et lorsqu'on va chercher La grève d'Eisenstein (6) pour la projeter dans un syndicat, inutile de fredonner les cantiques de la gauche radicale, vu qu'en entrant dans les bureaux remplis d'affiches de Hollywood, la gorge se noue et le mot « camarade » est vidé de tout son sens.

 

Les salles d'Art et Essai ne sont pas non plus l'exception à la règle de la régulation par l'argent. Elles font partie -à l’égal des distributeurs- de sociétés qui commercialisent et proposent des films. Le système remplace les pop-corns par des amuse-bouches, et le soda par un verre de vin, mais le mécanisme est identique. En guise d'anecdote, je puis vous parler du sentiment mystique qui me poussa à voir la première du film Jour après jour de Jean-Daniel Pollet (7). Lorsque je voulus le revoir dans la même semaine, il n'était plus à l'affiche et le directeur du cinéma m’annonça qu'on l'avait déprogrammé à cause du faible score. Ce qui signifiait dont qu'on ne prenait pas en compte la majestuosité artistique d'une production, pas plus que le remarquable parcours de l’auteur de Méditerranée, ou la valeur posthume d’un cinéaste poétique : pour une salle d'Art et Essai –comme pour les autres– produire des bénéfices est essentiel.

 

Il est évident que mes lignes exaspèrent, mais je le fais dans le but de témoigner de l’incongruence héritée d’une certaine cinéphilie révolue, et qui devrait nous pousser à chercher une nouvelle conscience audiovisuelle. Etre rémunéré pour un travail digne est une chose que personne ne refuse; mais affirmer que l'économie n'a rien à voir avec l'art, ou croire que tout se fait par amour, est soit un mensonge, soit le signe d'une grande naïveté... De sorte qu'il est nécessaire de réfléchir sur ces sujets avec une plus grande audace.

 

Tout cela peut paraître spéculation pure, mais c'est en réalité un questionnement philosophique de fond qui doit primer sur la forme. Regardons en détails ce qui s'est passé avec Fahrenheit 9/11, le documentaire de cinéma dit « d'art » le plus diffusé dans les circuits parallèles. Fahrenheit 9/11 est apparemment le meilleur travail non commercial de Michael Moore (8), sauf que ce film est le plus rentable de sa carrière, ayant recueilli au guichet trente-sept fois la somme de sa production. Quel est son mérite ? Se moquer d'un président inepte ? Accentuer les défauts de George Walker Bush ? Car c'est ce qu'a fait Michael Moore : manipuler le public pour qu'il déteste Bush. Mais nous n'avions pas besoin d'un film pour ça, l'animosité existait déjà. Ce qui aurait été fascinant, cela aurait été de découvrir le contexte politique de ce pouvoir-­là, la raison pour laquelle les citoyens des Etats-Unis continuaient à le soutenir malgré les preuves contre lui, ou peut­ être l’impact social des mensonges de son gouvernement. Fahrenheit 9/11 ne laisse pas d'issue au spectateur, car c'est un pamphlet canalisé qui déforme la réalité. Par opposition, son œuvre précédente Bowling for Columbine nous semble plus structurée et moins manichéenne. Bref, il faut nous opposer à Fahrenheit 9/11 non pas parce qu'il est commercial ou pas, mais parce que le film manque tout simplement de rigueur dans le sujet étudié.

 

Est-il légitime de vivre du cinéma ? La réponse est affirmative. Les critiques sont rétribués pour détruire les films et tenter d'expliquer certaines scènes de Jean-Luc Godard -que le metteur en scène lui-même ne comprend pas-, encore que nous pourrions leur reprocher leur langage pédant, certaines phrases assassines et leur prétention à s'estimer au-dessus des mortels. Quand est sorti Avatar, combien de journalistes spécialisés se posèrent la question éthique du coût du film ? Ils se penchèrent sur les nombreux détails techniques, s’essayèrent à quantité d'explications sur la troisième dimension, mais peu s’interrogèrent sur le scénario et sur la question de savoir s’il était moralement admissible que la production la plus chère de l'humanité dépense la même somme pour sa campagne de promotion.

 

Les cinéclubistes ont cessé de lire mon texte dès les premiers paragraphes, et c'est maintenant le tour de la critique, le lecteur peut constater que le suicide intellectuel a été complet. A partir de maintenant, seule demeure une poignée de cinéphiles, et, un ou deux vrais amis qui s'interrogent sur l'orientation finale de ces lignes. Je veux leur préciser -s'il y avait des doutes-, que je collabore gratuitement à une ONG de diffusion cinématographique et que je participe à la fondation d'espaces qui luttent contre le cinéma industriel.

 

Alors, pourquoi parler du cinéma commercial ? Quel est l'objectif du présent article ? La réponse, bien qu'elle puisse paraître paradoxale, réside dans le rôle de l'argent, qui règne toujours dans la structure même du modèle audiovisuel mondial. Que cherche un réalisateur quand il fait un film ? Des millions ? Ou simplement apporter son grain de sable à l'art cinématographique ? Telle est la question que se pose, consciemment ou non, un amoureux du cinéma; une question qui ressemble à un passage étroit, dont les portes de sortie se trouveraient à un bout ou à l'autre.

 

Malheureusement, cela est une vision tronquée de la réalité. Nous devrions éviter de parler du seul objectif de création, mais plutôt de plusieurs éléments présents au même moment dans un projet cinématographique. Qu'est-ce qui a poussé Ingmar Bergman à entreprendre la réalisation de publicités cinématographiques sur le savon ? Qui peut nier que Le parrain de Francis Ford Coppola a été un film de commande ? Pourquoi Woody Allen, bien qu'il déteste Manhattan, n'a pas évité sa présentation en salles, ou pourquoi n'a-t-il pas -au moins- sorti une « version du réalisateur» des années après ? Qu'est-ce qui empêche le socialiste Ken Loach de proposer gratuitement ses films ? Jugement : c'est l'argent.

 

Que cela nous plaise ou non, le capital contrôle le système. On pourrait cependant alléguer que la technologie a changé, que les coûts ont baissé et que le cinéma se démocratise, qu'Internet est un outil efficace, qu'il existe depuis plusieurs années des productions participatives, et les cafés culturels et les bars associatifs programment des films hors circuits commerciaux. Sauf qu'à la fin des projections, un chapeau passe de main en main pour recueillir un apport volontaire qui sera envoyé à l'auteur, que dans les réalisations collectives, si l'œuvre rapporte de l'agent, celui-ci est redistribué à ceux qui assurèrent le financement, et que bien qu'Internet soit un media en progrès, son objectif principal est de faire connaître les qualités d'un créateur afin qu'il entre dans le circuit professionnel.

 

C'est là qu'apparaît un point clé dont personne ne parle: le professionnalisme du métier. Quand sommes-nous en présence d'un film professionnel ? Est-ce le fait de posséder des équipements de dernière technologie : caméras 35mm ou Ultra HD ? Non, nous savons tous qu'il existe des films réalisés avec des caméscopes amateurs. Est-ce le fait de rémunérer une équipe technique ? Non, il arrive que, selon le genre de projet, les coopérations soient parfois gratuites. Est-ce le fait d'un budget élevé ? Non, un film comme « Tarnation » de Jonathan Caouette a été réalisé avec seulement 218 dollars (9).

 

La réponse à ces questions est à chercher dans la nature juridique du film. Ce qui confère le statut professionnel à une œuvre, c'est l'existence d'une société de production qui porte le projet; d'où il ressort que tout film professionnel est commercial; et qu'en outre, la société qui est à sa tête a comme objectif établi par ses statuts, d'en obtenir un profit pécuniaire.

 

Ce qu'il y a d'aberrant dans cet aspect légal, c'est que les fonds d’aides à la production -dans la plupart de pays- refusent la possibilité de subventionner le film porté par une personne naturelle, qu'elle soit réalisateur, étudiant, artiste ou simple citoyen. Pour bénéficier de ces bourses, la condition requise sine qua non est que le projet soit appuyé par une société dûment enregistrée.

 

Bien que cela paraisse scandaleux, les systèmes législatifs accordent des fonds publics à des organisations privées, dans le but que ces dernières gagnent de l'argent en diffusant des œuvres audiovisuelles. Ce principe d'aide étatique diffère des bourses accordées aux auteurs et créateurs d’autres secteurs culturels, preuve que le cinéma est un domaine où prime la génération de richesses.

 

Il existe, pour terminer, une autre dichotomie, provenant de la distinction entre cinéma d'auteur et cinéma de producteur, qui est à mon sens caricaturale et dangereuse. Je m'explique: selon cette dernière distinction, les gens sont des anges ou des démons, les premiers étant dotés de noblesse et de grande sensibilité, les seconds étant de cruels mercenaires... Mais tout cela est une fable, car tourner avec Ingmar Bergman pouvait être traumatisant, comme jouer sous les ordres de Lars Von Trier, Michel Haneke ou Jean-Luc Godard, qui possèdent notoirement un ego d'acier et un caractère difficile. Quant au côté diabolique des producteurs, tous ne semblent pas avoir un abdomen colossal, ne fument pas du tabac, ne sont pas avares, et, ne crient pas sans arrêt : Paulo Branco, Marin Karmitz et Jacques Perrin ont réussi, grâce à leur persévérance et leur intelligence, à développer, pour le septième art, des centaines de projets d'une valeur inestimable.

 

J'ai voulu, au long du sinueux parcours de ce texte, relever quelques contradictions inhérentes au monde des images animées, en vue de susciter un regard neuf et sans préjugés… et de cette façon, peut-être, retrouver cette première émotion qui nous poussait, enfants, à glorifier le sanctuaire de la salle obscure et à vouloir toucher ce faisceau de lumière qui traversait nos âmes.

 

Traduction : Maurice AUDIBERT 

 

***

 

1 – Les cinq films de Burton qui ont attiré le plus de spectateurs ont produit 2538 millions de dollars, et le même nombre de films dans le box office de Lasseter, a généré 2232 millions de dollars. Ce qui place Burton -en matière de rentabilité- au-dessus de Lasseter.

 

* – En français dans le texte.

 

2 – Les personnages de : Match Point, Scoop, Le rêve de Cassandre, Vicky Cristina Barcelona, Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Minuit à Paris et To Rome with Love, habitent respectivement à Londres, Barcelone, Paris et Rome.

 

3 – Sauf -bien entendu- les rares occasions où l’auteur assume toutes les étapes créatives.

 

4 – Souvenez-vous d’une des répliques cultes de Sunset Boulevard : « Les gens oublient qu’il y a des scénaristes qui écrivent les dialogues ».

 

5 – Au moment où il avait été désigné comme communiste par le gouvernement états-unien, Chaplin avait déclaré : « J’ai été extrêmement pauvre dans mon enfance, et maintenant j’aime être riche, je ne veux partager mon patrimoine avec personne ».

 

6 – L’érudite théorie du montage de Sergueï Eisenstein, applaudie par tous les académiques, a été qualifiée comme : « Un spectacle de foire » par Dziga Vertov. Ce dernier contestait la méthode d’Eisenstein pour mettre en relief la dramaturgie cinématographique, car Vertov favorisait plutôt l’analyse de la réalité directe. Il est opportun de se rappeler cette dispute intellectuelle qui opposât les deux maitres soviétiques, afin de démontrer qu’également dans les pays qui ont refusé le libre marché, a eu lieu une polémique sur le conflit entre cinéma esthétique-commercial et cinéma populaire-éducatif.

 

7 – Finalisé à la mort de Jean-Daniel Pollet par Jean-Paul Fargier, Jour après jour est un film émouvant, absolument intelligent, où la poésie contemplative atteint les limites de la perfection.

 

8 – Le documentaire Manufacturing dissent de Rick Caine et Debbie Melnyk met en lumière plusieurs aspects critiquables du cinéaste.

 

9 – Cette somme est polémique, car elle ne prend en compte ni le processus de kinescopage, ni les dépenses de postproduction et de diffusion.

Partager cet article
Repost0

commentaires

N
Élucidant! Merci Nicolas.
Répondre

En Savoir Plus...