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Qui sommes-nous ?

 

 

 

CIN-CO est une association créée en 2004 qui a pour objectif de favoriser la création, la production et la diffusion de films venant en particulier des pays en voie de développement.

L'idée est de permettre à des réalisateurs étrangers ayant peu de moyens à leur disposition de faire aboutir leur travail artistique, de leur apporter un soutien logistique et matériel, et de proposer un appui à la diffusion de leurs œuvres.

C'est ainsi donner la possibilité de montrer une réalité ou une vision artistique souvent déniée ou délaissée dans leur pays, et très souvent méconnue à l'extérieur de ce territoire.

Notre action s'articule également autour de projets pédagogiques et éducatifs, en milieu scolaire, pour sensibiliser les jeunes publics à l'impact de l'image, à son interprétation, à sa maîtrise et à sa diversité.

 

 

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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 10:33

 

 

los-suenos-de-akira-kurosawa.jpg

 

César CORTEZ RODRIGUEZ

Anthropologue, correcteur de textes à l'Université Nationale, directeur du ciné-club « Mugre al Ojo »

 

Traduction : Simon GAUTHIER

 

Je t'aime là contre le mur en ruine,

contre la ville et le soleil contre le vent

contre tout ce que j'aime d'autre et qui demeure

comme un guerrier pris au piège par des souvenirs

Homero Aridjis

 

 

Depuis toujours, le cinéma attend le public qui passe constamment à côté de lui, sans s'arrêter. Depuis toujours, le cinéma attend, il attend le public qui l'ignore. Et depuis toujours, l'ignorance existe. Elle ne se doute pas que le cinéma existe et pourtant, à la faveur de rares circonstances, il arrive que le cinéma parvienne jusqu'à elle... pour se faire finalement ignorer. Ainsi des choses de la vie. De cette vie qui consiste à chercher ce que d'autres méprisent, ou simplement ignorent.

 
Ainsi du cinéma, qui s'empare de choses que certains voient et d'autres non et les raconte sous un angle différent, à partir d'une nouvelle perspective. Ainsi des histoires contées par les auteurs que je pourrais qualifier de plus proches, de plus chers. Comme ces histoires en apparence lointaines, jamais pourtant aussi proches d'Akira Kurosawa, dans lesquelles s'engagent des réflexions sur l'homme et sur l'environnement. Kurosawa, le réalisateur que le nec plus ultra, la crème de la crème des critiques de cinéma considèrent comme réactionnaire en ce qu'il témoigne dans toute son œuvre d'une préoccupation manifeste pour l'environnement, la seule chose dont nous disposions gratuitement, pour ainsi dire. À quoi nous sert d'avoir vécu ou de connaître l'histoire, si ce n'est pour en tirer un enseignement pragmatique ? Et ce, afin d'éviter de reproduire la bêtise humaine constante qui consiste à nous croire indispensables et supérieurs à toutes les choses que la planète nous offre, en les recherchant dans des ailleurs que nous souillons comme s'il s'agissait de notre propre maison. Pourquoi aller sur la Lune ou sur Mars pour avilir leur environnement en « marquant notre territoire » avec des petits drapeaux sur lesquels on croirait que sont dessinés les barreaux d'une cellule dont l'ouverture sur la gauche donne sur des rangs d'étoiles froidement alignées ?
 
Il y a quelques années, tous ceux ou presque qui, comme moi, vivaient dans des villages ou ont eu l'opportunité d'y passer, furent témoins d'un événement qui allait les éblouir. Dehors, des danseurs surgissaient d'entre les ombres, tels des fantômes oniriques dans cet espace dépourvu de murs et de toit. Des visages inconnus, que j'identifierai plus tard dans des chefs-d'œuvre du cinéma, étaient projetés sur des draps d'une blancheur apparente, que le vent berçait. La séance avait invariablement lieu entre sept et dix heures du soir, ensuite, tout retournait à la normale : « la lumière s'éteignait » et les ténèbres reprenaient naturellement leurs droits sur le champ. On projetait presque toujours des films de l'époque dorée du cinéma mexicain, des films argentins, des films de guerriers samouraïs ou des westerns. Avant même de savoir parler, les enfants de cette époque connaissaient le maniement du pistolet ou de l'épée : il était difficile de retenir les dialogues du cinéma japonais, contrairement aux menaces qui émaillaient les dialogues du cinéma mexicain ou des westerns. Si ces films en noir et blanc, ou plutôt en sépia et jaune, qui glissaient suavement sur le drap, suscitaient variablement l'antipathie, la haine, l'amour ou l'indifférence, ils étaient immanquablement accompagnés de murmures et de cris.
 
Ces nuits passées à l'extérieur ont en quelque sorte constitué une source d'inspiration pour le ciné-clubisme, l'une des plus belles activités qui puisse s'exercer sans attendre en retour une rétribution. Les spectateurs de cette époque ne pouvaient pas savoir que, sous leurs yeux, se déroulait un chapitre important de l'histoire du cinéma : avec le temps, les œuvres qui nous faisaient face allaient être considérées comme « indispensables » et certaines d'entre elles seraient même proclamées « joyaux » du septième art. Parfois, la programmation se diversifiait, on projetait des films de Luis Buñuel ou des films doublés en espagnol avec cette manière de parler caractéristique de la péninsule ibérique. Dans ces villages et sous ces formats, le cinéma made in Hollywood n'existait pratiquement pas — même s'il arrivait que l'on projette des œuvres de John Ford, c'est d'ailleurs à la faveur de telles séances, entre autres, que j'ai appris à aimer le cinéma, pas celui des grandes productions qui exhibent les fruits favorisant la « mondialisation » qui, ce me semble, nous apprend à nous ignorer. Il y avait aussi des films de Cantinflas, de l'Indio Fernández, certains étaient servis par la photographie de Gabriel Figueroa, d'autres par la réalisation de Kurosawa. On ne projetait pas n'importe quel film, je le réaliserais plus tard.
 
Contrairement à tant d'autres, ces époques de conquêtes servirent à quelque chose : la soumission n'y aurait pas été synonyme de tant de frustration parce que, avec le temps, on aurait appris que Bello Filmes, Pelmex et Mundial Filmes(*) disposaient de ces titres et de beaucoup d'autres, en 16 mm, qui, bien que n'étant pas toujours en bon état, arrivaient dans les villages pour y bousculer la routine. Ainsi, l'espace de quelques heures, les fantômes et les spectres locaux en liberté laissaient place à des images capturées par la caméra. Regarder des films comme Nuovo cinema Paradiso, El elefante y la bicicleta, Vidas errantes ou Todos somos estrellas, c'est se rappeler ce que nous vivions alors : les projections accompagnées du bruit continuel de la pellicule qui tourne dans le projecteur, le tremblement de l'image et le compte à rebours que l'on voyait défiler à l'envers, les enfants qui en répétaient les chiffres comme s'ils se trouvaient en classe de mathématiques. Ces projections au cours desquelles les adultes nous expliquaient ce qui, selon eux, se passait à l'écran.
 
Quelques années plus tard, l'expérience des premières années se renouvela, cette fois-ci les nuits de pleine lune, au bord de la mer, face à la plage ou sur un bateau bercé par la brise. Fort de la chaleur que dégageait la nuit brune, les images sillonnaient l'espace pour arriver jusqu'aux spectateurs, petits et grands, semblant rêver de ces êtres venus de contrées lointaines qui traversaient l'espace pour leur parler des langues inconnues et leur raconter ce que personne ne savait, mais que tout le monde supposait. Je ne sais pas à quoi ressemble le cinéma aujourd'hui dans les villages reculés, les contraintes d'éclairage étant moins importantes, les films arrivant sous forme de DVD, - il n'est même plus question de VHS - et la télévision par câble ayant certainement transformé cette atmosphère si proche, dans laquelle nous savions tous qu'il y avait beaucoup plus à l'œuvre que la simple projection, mais nous ne nous en rendions pas compte. Le rituel dans l'obscurité a perdu des adeptes, c'est le fait de l'évolution dirait Darwin. Mais, en réalité, la technologie est en train de mettre fin jusqu'à la poésie. On n'utilise plus de timbres, on n'écrit plus de lettres, de faire-part, de manuscrits, on n'envoie plus de télégrammes. Aujourd'hui, on tchatte, on créé son espace ou son profil, sur lesquels on semble pouvoir dire tout ce que l'on pense, mais... existe-t-on pour autant ?
 
C'est regrettable, mais les choses ont changé, la poésie semble avoir disparu. Aujourd'hui, le monde est « au coin de la rue ». Les prétendus « médias » se sont emparés de la vie des gens, imposent des idéologies, vendent des personnages déguisés en acteurs et en actrices qui ne le sont pas, ni ne le paraissent. Les médias inventent et ignorent les témoignages pour accommoder les circonstances selon les personnes qui les paient, choisissent des héros politiques et les font apparaître de nulle part, à la manière des magiciens des cirques d'antan, et imposent des conditions favorables aux intérêts de quiconque est en mesure de les acheter. Le cinéma a engendré de tels monstres. Les monstres de la campagne qui apparaissaient aux enfants lorsqu'ils se comportaient mal étaient préférables et bien plus sympathiques.
 
Maintenant qu'il existe autant de moyens d'expression audiovisuelle, nombre sont ceux qui souhaitent s'essayer au métier de réalisateur. Armés d'œuvres souvent improvisées, ils se lancent dans l'arène de la réalisation où s'affrontent des créateurs imberbes jusqu'aux personnes appartenant « au troisième âge », retraités ou sans-emploi qui se procurent un appareil photo numérique disposant de suffisamment de mémoire pour faire leurs premiers pas dans ce qui s'appelait autrefois un art. Et comme tout ce qui devient populaire, cet art cesse d'en être un pour devenir un moyen de communication supplémentaire. On organise maintenant des concours de films réalisés avec des caméras ou des téléphones portables sujets aux tremblements. La tendance actuelle est aux « vidéographes » qui déplacent leur caméra au rythme de leur respiration alors qu'ils réalisent une interview, montrent une sculpture ou pire, un cadavre. Déplacer la caméra sans rime ni raison dans les émissions de télévision adressées aux enfants ou aux jeunes est devenu un véritable « art », comme s'il existait une sorte d'ordre régissant les mouvements de la caméra selon de constants mouvements de va-et-vient pour dissimuler le fait que l'on n'a rien à dire. Mais après tout, peut-être essayent-ils de reproduire l'agitation corporelle supposée des enfants ? Le pire, c'est que l'on retrouve cette mode jusque dans les programmes adressés aux personnes âgées, l'objectif étant probablement de leur donner la nausée avec la désinformation de service. Si triviales qu'elles soient, ces tendances ont beaucoup à voir avec le cinéma : contrairement à la tendance actuelle, la caméra d'hier semblait être le témoin immobile de l'action qui se déroulait devant elle, et souvent, les personnages défilaient spontanément devant cet appareil qui allait non seulement immortaliser ces images dans la mémoire de la pellicule, mais également dans la mémoire de quiconque allait voir les nouvelles productions du septième art.
 
Probablement en raison des avancées de la technologie, voilà maintenant qu'on assiste à l'apparition de nouvelles productions latino-américaines de réalisateurs que nombre osent appeler successeurs de la génération antérieure d'artistes, celle qui réalisait naturellement des œuvres dont chaque plan portait la signature de l'auteur.
 
Tout porte à croire que cette tendance n'est pas près de s'arrêter. Aujourd'hui, des individus veulent sortir un film par an, peu importe sa qualité ou son contenu, pourvu qu’il coûte moins cher. Mais ce n'est pas ce qui importe le plus. En effet, si les Colombiens regardent en moyenne plus de productions colombiennes, le nombre de personnes qui va au cinéma a quant à lui largement diminué. Peut-être est-ce en raison du prix de l'entrée, de la crise économique ou peut-être est-ce parce que nous avons oublié les rituels, parmi lesquels celui qui consiste à aller au cinéma. Peut-être est-ce aussi parce que, grâce aux nouvelles technologies, il n'est plus nécessaire d'aller au cinéma pour voir un film, il suffit de rester à la maison et de regarder une copie pirate ou un original. Toutefois… quelle originalité revêt la copie d'un produit qui a été réalisé dans les règles de l'art du cinéma, puis téléchargé et gravé sur DVD, support, nous le savons tous, qui entraîne non seulement une perte de la qualité et de la netteté, mais également une perte plus fondamentale : ce que le réalisateur, le directeur de la photographie et tous ceux qui sont intervenus dans la création de cette image aspiraient à montrer ?
 
Aujourd'hui, pas même les fantômes ne surgissent d'entre les draps…
 
Depuis toujours, les histoires attendent que quelqu'un les raconte. Depuis toujours, le cinéma attend le public qui passe à côté de lui sans s'arrêter, sans éprouver de remords. Depuis toujours, la nuit attend le rituel de tendre un drap blanc sur lequel dansent des images, quelle que soit l'époque, quels que soient les enfants. 

 

 

 

(*) Bello Filmes, Pelmex et Mundial Filmes sont des distributeurs colombiens de films indépendants.

 

 

 

 

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