Nicolás ROMÁN BORRÉ
Réalisateur, ciné-clubiste et membre de CIN-CO « Cinéma et Coopération »
Traduction : Florence GUILBOT
Le rythme des films indiens est particulier, différent du notre.
Il faut abandonner toute idée de logique comparative.
Jean-Claude Carrière.
Il n’est pas facile, je le reconnais, de faire la liste des œuvres les plus remarquables du septième art. Il s’agit d’un sujet pointu où les préférences artistiques, l’histoire, la sociologie et la déontologie de l’étude des films influencent le choix du sélectionneur.
Dans le passé, cette tâche fut menée à bien avec un certain succès par Luis Alberto Álvarez et son « Histoire du cinéma en cent titres », Barry Norman et ses « 100 best films », Augusto M. Torres et ses « Cinq cent grands films ». Il y eut aussi des dizaines de rencontres, de symposiums, de festivals où se rassemblèrent réalisateurs, critiques et historiens du cinéma pour mettre au point de rigoureuses anthologies.
Des livres comme « Les mille films à voir avant de mourir » et « Œuvres inoubliables » alimentent une classification pyramidale, laquelle si nous sommes honnêtes est de toute façon injuste. En effet, les qualités esthétiques et historiques d’une œuvre varient toujours en fonction de qui la regarde, de son expérience personnelle, de ses références sociales et de sa vision subjective.
Mais bon, cela étant posé, la publication des « 100 films pour une cinémathèque idéale » éveilla toute ma curiosité, car éditée par les Cahiers du cinéma, avec la participation de 78 grands spécialistes sous la direction de Claude-Jean Philippe. Sincèrement, je ne peux décrire le sentiment qui me saisit à sa lecture, la déception peut-être de me rendre compte à quel point j’étais naïf et bête.
S’agissant d’une "cinémathèque idéale", je pensais qu’on rendrait enfin justice aux créations documentaires, expérimentales ou d’animation(1) qui furent toujours systématiquement exclues de ce genre de répertoire(2). Je rêvais par exemple que Les saisons d’Artavazd Pelechian, qui pour la beauté de son montage est d’un niveau supérieur à Citizen Kane ou au Cuirassé Potemkine, soit dans la sélection; tout comme Koyaanisqatsi, Nanouk l'Esquimau, L’homme à la caméra, À propos de Nice, Baraka…, ou en animation Fantasia, Le tombeau des lucioles, L'étrange Noël de Monsieur Jack. Mais le pire pour moi, le plus terrible de ce top 100, ce fut l’oubli de films historiquement essentiels. Je me demande où sont passés par exemple :
Le cabinet du docteur Caligari
Casablanca
L'ange bleu
Le septième sceau
La strada
Naissance d'une nation
Zemlya
Chinatown
Novecento
Le songe de la lumière
Boulevard du crépuscule
Pitié pour eux
Metropolis
L'aveu
Le voleur de Bagdad (la version de 1924)
Les chaussons rouges
La soupe au canard
The kid
Une question de vie ou de mort
Zorba le Grec
Autant en emporte le vent
Blow-up
Cabaret
Easy rider
Adieu ma concubine
Brève rencontre
The wall
Chambre avec vue
Blade runner
Le miroir
La complainte du sentier
Le troisième homme
Tant qu'il y aura des hommes
Pourquoi cette amnésie brutale concernant le nouveau cinéma allemand, le cinéma novo brésilien, tous ces cinéastes de l’Europe de l’Est, le free britannique ?
Theodoros Angelopoulos, David Lean, Shohei Imamura, Dziga Vertov, Rainer Werner Fassbinder, Serif Gören et Yilmaz Güney, Tomás Gutiérrez Alea, Zhang Yimou, John Grierson, Fred Zinnemann, Krzysztof Kieslowski, Johan van der Keuken, Robert Kramer, Aleksandre Dovshenko, Martin Scorsese, Frederick Wiseman, Bernardo Bertolucci, Robert Altman, Peter Greenaway, Milos Forman, Lars von Trier, Takeshi Kitano, Terrence Malick, Wim Wenders, Jim Jarmusch, Serguéi Paradzhanov, Robert J. Flaherty, Gus Van Sant, Santiago Álvarez, Sam Wood, Kean Loach, Jane Campion, Sydney Pollack, Joris Ivens, Abbas Kiarostami, Ettore Scola, Terry Guilliam, Norman McLaren, Jean Rouch, Carol Reed, Costa-Gavras et Pier Paolo Pasolini, ne méritent-ils pas une place privilégiée ?
Des films récents comme : Underground, La leçon de piano, Trainspotting, Tigre et Dragon, Pulp fiction, Lagaan, Lisbon story, The pillow book, Trois couleurs - Bleu, Les enfants du ciel, Breaking the waves, In the mood for love, Ed Wood, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, Rêves, Festen, Retour à Brooklyn, Microcosmos, Amour chiennes, Memento, Les amants du cercle polaire, Le goût de la cerise, Tuvalu... ne méritent-ils pas au moins une évocation ? Enfin, prévaut un silence impardonnable en ce qui concerne le cinéma contemporain iranien, roumain, coréen, indien et latino-américain.
J’étais en colère lorsque j’ai commencé à écrire ce texte parce que l’omission de certains noms me paraissait faire injure à la vérité. J’en ai ainsi profité pour citer quelques œuvres(3)… puis vint la déception face à un classement dont les limites ne sont que trop évidentes. Aujourd’hui, plus calmement, je me rends compte que toute tentative de classification est en soi discriminante.
D’où vient cette manie de sélectionner The best of the best ?
Ce n’est finalement qu’une coutume très réductrice visant à réduire la création humaine à de simples chiffres, tableaux et graphiques. Si un film vous touche profondément, il restera pour vous, une création de haut niveau, indépendamment de l’opinion du reste des mortels.
Une cinémathèque idéale ne doit pas seulement faire référence aux classiques et à tous les genres cinématographiques, mais aussi aux petites productions venant de tous les horizons. Elle doit prendre en compte les tendances novatrices qui réinterprètent les règles de l’esthétique, voire qui s’en affranchissent totalement.
Philippe Faure-Brac, célèbre œnologue français, affirme que chaque fois que quelqu’un lui demande un grand cru dont il se souvient avec émotion, il répond : « Je vous conseille d’en déguster un autre, parce que cet instant est inégalable, vous n’êtes plus le même, les circonstances sont différentes et vous risquez d’être déçu… pensez à ce souvenir comme à un instant magique et essayez de créer avec la dégustation d’un autre vin exceptionnel, un nouveau et unique moment de bonheur. » Je considère l’analogie entre le cinéma et le vin plutôt pertinente. C’est pourquoi j’aspire à de nouveaux moments audiovisuels, à d’autres instants de beauté absolue et de tendresse devant l’écran; non pas pour dénigrer les classements précédents, ou pour réduire le septième art à quelques titres indéboulonnables… mais pour que la liste s’enrichisse, se fortifie -et surtout- qu’elle augmente.
1 - Barry Norman a inclus Bambi dans sa liste.
2 - Nous en sommes malheureusement arrivés à assimiler à tort le mot « film » uniquement aux fictions.
3 - D’ailleurs, certains lecteurs pourraient dès alors s’enquérir de certains titres non inclus. À ceux-ci, je leur fais remarquer qu’il ne s’agit pas d’un oubli… et que la liste reste ouverte.
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Le livre « 100 films pour une cinémathèque idéale » de Claude-Jean Philippe, édité par les Cahiers du cinéma, établit la liste suivante :
Citizen Kane d’Orson Welles
La nuit du chasseur de Charles Laughton
La règle du jeu de Jean Renoir
L’aurore de Friedrich Wilhelm Murnau
L’atalante deJean Vigo
M. le maudit de Fritz Lang
Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly
Vertigo d’Alfred Hitchcock
Les enfants du paradis de Marcel Carné
La prisonnière du désert de John Ford
Les rapaces d’Eric von Stroheim
Rio Bravo d’Howard Hawks
To be or not to be d’Ernst Lubitsch
Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu
Le mépris de Jean-Luc Godard
Les contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi
Les lumières de la ville de Charles Chaplin
Le mécano de la Général de Buster Keaton
Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau
Le salon de musique de Satiajit Ray
Freaks de Tod Browning
Johnny guitar de Nicholas Ray
La maman et la putain de Jean Eustache
Le dictateur de Charles Chaplin
Le guépard de Luchino Visconti
Hiroshima mon amour d’Alain Resnais
Loulou de G. W. Pabst
La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock
Pickpocket de Robert Bresson
Casque d’or de Jacques Becker
La comtesse aux pieds nus de Joseph Mankiewicz
Les contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang
Madame de... de Max Ophuls
Le plaisir de Max Ophuls
Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino
L’avventura de Michelangelo Antonioni
Le cuirassé Potemkine de Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein
Les enchaînés d’Alfred Hitchcock
Ivan le terrible de Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein
Le parrain de Francis Ford Coppola
La soif du mal d’Orson Welles
Le vent de Victor Sjöström
2001 Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick
Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman
La foule de King Vidor
Huit et demi de Federico Fellini
La jetée de Chris Marker
Pierrot le fou de Jean-Luc Godard
Le roman d’un tricheur de Sacha Guitry
Amarcord de Federico Fellini
La belle et la bête de Jean Cocteau
Certains l’aiment chaud de Billy Wilder
Comme un torrent de Vicente Minnelli
Gertrud de Carl Theodor Dreyer
King Kong d’Ernst Shoedsack et Merian J. Cooper
Laura d’Otto Preminger
Les septs samouraïs d’Akira Kurosawa
Les 400 coups de François Truffaut
La dolce vita de Federico Fellini
Gens de Dublin de John Huston
Haute pègre d’Ernst Lubitsch
La vie est belle de Frank Capra
Monsieur Verdoux de Charles Chaplin
La passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer
À bout de souffle de Jean-Luc Godard
Apocalypse now de Francis Ford Coppola
Barry Lindon de Stanley Kubrick
La grande illusion de Jean Renoir
Intolérance de David Wark Griffith
Partie de campagne de Jean Renoir
Playtime de Jacques Tati
Rome ville ouverte de Roberto Rosselini
Senso de Luchino Visconti
Les temps modernes de Charles Chaplin
Van Gogh de Maurice Pialat
Elle et lui de Leo McCarey
Andrei Roublev d’Andrei Tarkovski
L’impératrice rouge de Joseph von Sternberg
L’intendant Sansho de Kenji Mizoguchi
Parle avec elle de Pedro Almodovar
The party de Blake Edwards
Tabou de Friedrich Wilhelm Murnau
Tous en scène de Vincente Minnelli
Une étoile est née de George Cukor
Les vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati
America America d’Elia Kazan
Él de Luis Buñuel
En quatrième vitesse de Robert Aldrich
Il était une fois en Amérique de Sergio Leone
Le jour se lève de Marcel Carné
Lettre d’une inconnue de Max Ophuls
Lola de Jacques Demy
Manhattan de Woody Allen
Mulholland drive de David Lynch
Ma nuit chez Maud d’Eric Rohmer
Nuit et brouillard d’Alain Resnais
La ruée vers l’or de Charles Chaplin
Scarface d’Howard Hawks
Le voleur de bicyclette de Vittorio de Sica
Napoléon d’Abel Gance