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Qui sommes-nous ?

 

 

 

CIN-CO est une association créée en 2004 qui a pour objectif de favoriser la création, la production et la diffusion de films venant en particulier des pays en voie de développement.

L'idée est de permettre à des réalisateurs étrangers ayant peu de moyens à leur disposition de faire aboutir leur travail artistique, de leur apporter un soutien logistique et matériel, et de proposer un appui à la diffusion de leurs œuvres.

C'est ainsi donner la possibilité de montrer une réalité ou une vision artistique souvent déniée ou délaissée dans leur pays, et très souvent méconnue à l'extérieur de ce territoire.

Notre action s'articule également autour de projets pédagogiques et éducatifs, en milieu scolaire, pour sensibiliser les jeunes publics à l'impact de l'image, à son interprétation, à sa maîtrise et à sa diversité.

 

 

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7 décembre 2010 2 07 /12 /décembre /2010 22:46

 

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Claudia JARAMILLO

Graphiste UPB, ciné-clubiste et membre de CIN-CO « Cinéma et Coopération »

 

Traduction : Florence GUILBOT

 

Il rentra trempé à la maison après avoir erré sous la pluie.

 

Il laissa derrière lui une véritable inondation et c'est moi, comme toujours, qui dus calmement passer la serpillière pour éponger. C'était déjà assez difficile de partager un appartement, alors pas la peine de se prendre la tête parce que l'un de nous arrivait tout mouillé à la maison. Puis il s'enferma dans sa chambre pour écouter à plein volume la bande-son d'un de ses films. Ma chambre étant contiguë, je devais chaque nuit quitter mon lit pour lui demander de baisser le son et lui expliquer que les gens de l'immeuble travaillaient le jour et dormaient la nuit. Pour un artiste, me disait-il, les heures sont éphémères et la créativité a son propre contrôle du temps et de l'espace. Il finissait cependant toujours par baisser le son.

 

Sa chambre était une vraie vidéothèque, avec des boîtes de films qui traînaient partout. Selon lui, ce désordre avait sa propre cohérence. En vérité, je n'y voyais que des objets jetés ça et là, des cendriers pleins de mégots, des préservatifs, des morceaux de nourriture entassée. C'est le chaos du génie, me disait-il, je pensais quant à moi que c'était le désastre de la folie.

 

Le jour où il arriva à la maison il était pure amabilité. Il ne faisait que parler de réalisateurs russes et de philosophie allemande. Nous l'écoutions avec beaucoup d'intérêt, puis à cause de notre incompréhension ou de notre inculture, nous nous mîmes à l'éviter, chacun à sa façon. Lui se concentra davantage sur ses sujets de prédilection.

 

Cela faisait pas mal de temps que nous avions décidé de le mettre dehors, mais personne n'osait le lui dire, parce qu'en fait le désordre restait cantonné à sa chambre. Nous n'accordions pas beaucoup d'importance aux vols continus de nourriture et lui ne se mêlait pas de nos affaires. On se doutait bien qu'il était génial. Le problème, c'étaient les odeurs fétides qui sortaient de son antre ou le bruit qui nous empêchait de dormir certaines nuits. On se relayait parfois pour nettoyer sa chambre: lui sorti, on récupérait les boites, les emballages, les cendriers et on jetait toute sa merde comme pour maintenir un semblant d'ordre dans l'appartement.

 

Il ne se plaignait pas sauf si nous jetions quelque chose qui avait pour lui de la valeur, comme un article de presse ou un sac en papier sur lequel il avait griffonné quelques lignes.

 

Le temps passait et personne ne lui disait « Va-t'en ! ». On s'était habitué à s'occuper de lui sans rien dire, ce qui faisait de nous ses complices, comme un petit frère ou un parent dont il faut s'occuper parce qu'il ne peut se débrouiller seul.

 

Certaines fois, quand nous étions au salon à regarder la télévision, on l'entendait faire des trucs dans la cuisine ou aller aux toilettes. On échangeait des regards et on élisait celui d'entre nous qui irait réparer les dégâts derrière lui: nettoyer les éternelles taches sur la nappe, laver les tasses, ranger la salle de bain. Bizarrement sa notion personnelle du rangement s'appliquait dans toute la maison: il mélangeait les tasses sales avec les casseroles, les couverts avec les fruits, les céréales avec le papier hygiénique. Comme de manière surnaturelle, ce qu'on met d'ordinaire dans le frigidaire pour y être conservé apparaissait miraculeusement dans le four. Le pire, c'étaient les taches de café : il en laissait toujours par terre comme s'il y dessinait quelque chose. C'était aussi l'évier bouché : un cloaque où flottaient de vieux restes dans une mare de café. Notre patience était mise à mal à force d'avoir à nettoyer sa saleté, à supporter ses cuites au cours desquelles il récitait à pleins poumons les scènes de ses films, à passer nos nuits à lui crier de respecter si possible les normes qui régissent le jour et la nuit.

 

Le soir où il arriva complètement trempé et laissa sa trace dans toute la maison, nous décidâmes, serpillière à la main, d'arrêter là l'expérience. Nous n'étions plus du tout disposés à ranger son désordre, à partager notre maison avec un fantôme social qui faisait gueuler ses bandes-son à quatre heures du matin, ni à supporter les claquements de portes et les bruits de talon la nuit.

 

Nous entrâmes dans sa chambre avec deux caisses et une valise. Il termina de se changer et nous aida à faire ses paquets, dirigeant même un peu la manoeuvre: les films historiques en premier, ensuite les philosophiques, puis les films russes et les dictionnaires dans l'autre caisse. La petite quantité de vêtements ne prit pas beaucoup de place dans la valise; et nous avons fini de la remplir avec ses crayons, les disques d'opéra, les articles de presse et sa lampe.

 

Nous l'avons ensuite aidé à tout descendre, lui avons souhaité bonne chance avec quelques bises et sommes remontés à la maison où il faisait si bon. Nous l'avons laissé dehors malgré la pluie et avons de suite passé une annonce par téléphone: chambre à louer pour jeune fille, co-location dans appartement du centre, chauffage compris, bonne ambiance assurée.


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